Découvrez l’histoire de Robert Lhuerre, résistant fusillé en août 1944 et reconnu Mort pour la France, racontée avec émotion par son neveu.
©️Geneafinder - Philippe Lhuerre
À l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine 2025, nous avons souhaité donner la parole à nos lecteurs en lançant un appel à récits. L’idée : mettre en lumière la mémoire familiale à travers des histoires d’ancêtres au destin singulier.
Philippe Lhuerre a été l’un des premiers à répondre à notre invitation en nous confiant un témoignage bouleversant. Dans un texte minutieusement documenté et chargé d’émotion, il retrace la vie de son oncle, Robert Lhuerre, résistant fusillé en août 1944.
Nous sommes honorés de publier aujourd’hui ce récit, qui allie mémoire familiale et Histoire collective, et qui rappelle combien le patrimoine se nourrit aussi des vies individuelles.
Bonne lecture
⚠️ Certaines images peuvent choquer
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Robert Lhuerre, est né le 5 août 1921 à Libreville au Gabon, alors colonie française, de parents fonctionnaires coloniaux : Lucienne Collotte originaire de Bar le Duc dans la Meuse, et Conrad Lhuerre originaire de Guyane française.
En 1939, Robert habite chez son grand-père maternel à Bar le duc, lorsqu’il s’engage, encore mineur, dans l’armée de l’Air. En janvier 1940, il est envoyé en Afrique du nord, à la base aérienne de la Sénia, à Oran, ou il sert jusqu’en 1942.
Démobilisé, il rentre à Bar le Duc et est employé au Groupement de Répartition des farines (Office National interprofessionnel des Céréales – ONIC), dont les bureaux occupent le 2è étage du Grand Bazar de la Gare, boulevard de la Rochelle. Robert entre en contact avec un réseau de passeurs, dès 1943, le réseau Possum, réseau belge opérant en Champagne, chargé de recueillir, héberger, protéger et faire sortir de France les aviateurs alliés dont l’avion a été abattu lors de missions.
Son activité professionnelle lui permet de se déplacer, faculté qu’il utilisera pour convoyer des aviateurs jusqu’à Reims, par voie ferrée, en les faisant passer pour sourds muets.
Le 8 juin 1944, Robert a rendez-vous avec un aviateur britannique, Denys Teare, au Bazar de la Gare.
La Gestapo pénètre dans l’immeuble et Robert n’a que le temps de faire signe à Denys Teare de monter au dernier étage, tandis que lui-même descend à la rencontre des Allemands. Robert tente alors de sauter de la fenêtre, mais ses collègues l’en empêchent, car à cette hauteur il ne s’en serait pas sorti. Il va alors à la rencontre des Allemands et se désigne comme étant celui qu’ils recherchent, en espérant ainsi que la Gestapo se contenterait de sa prise, et ne poursuivraient pas la fouille des locaux, ce qui les aurait amenés immanquablement à prendre Denys Teare.
Robert est emmené, menotté à son cousin Bernard Collotte, également présent sur les lieux. Ils sont tous les deux transférés à la prison allemande installée dans l’ancienne école de jeunes filles.
Robert va subir des interrogatoires, sans parler, jusqu’au soir du 28 août 1944.
Son dernier compagnon de cellule, M. Roger Gauthier, 46 ans en 1944, raconte dans le journal L'Est républicain du 26/8/1975 : "torturé, battu à coups de cravache, il perdait confiance de jour en jour. Son seul réconfort était les quelques gâteaux que lui envoyait sa fiancée, une jeune fille qui habitait la Vieille Côte de Behonne (Anne-Marie Mougel). Le 28 août, les soldats sont venus le chercher en lui disant : "Arbeit Deutschland" (travail en Allemagne). Mais Robert Lhuerre comprit aussitôt et me dit : "ils vont me foutre en bas". Très ému, il n'arriva même pas à lacer ses souliers. Il prit son pardessus sous le bras et sortit... Je ne devais plus le revoir vivant."
Avec 4 autres prisonniers, ils seront emmenés à bord de deux voitures, et acheminés, au lieudit « La Fédération », une clairière dans un petit bois à la sortie Ouest de la ville. Aussitôt sortis des véhicules, ils sont assassinés d’une balle dans la tête, et laissés sur place.
A 23 ans Robert était le plus âgé, le plus jeune n’ayant que 17 ans.
Ses 4 compagnons dans la mort étaient :
La Résistance trouvera les corps le lendemain matin, et déclenchera le jour même un coup de main contre la prison pour libérer les prisonniers qui s’y trouvent encore, craignant que ces 5 victimes ne soient que les premières d’une longue série.
La Résistance trouvera les corps le lendemain matin, et déclenchera le jour même un coup de main contre la prison pour libérer les prisonniers qui s’y trouvent encore, craignant que ces 5 victimes ne soient que les premières d’une longue série.
La prison sera libérée par la Résistance le lendemain, avec ses 42 prisonniers dont Bernard Collotte. Denys Teare a échappé à la Gestapo, comme Robert l’espérait, et sera finalement libéré par l’arrivée des Américains, le 31 août vers 18 heures. Un monument a été érigé en août 1945, et inauguré le jour du 1er anniversaire du massacre, sur les lieux où il s’est déroulé.
Depuis, cette cérémonie souvenir se perpétue chaque 28 août, et Denys Teare y a participé très régulièrement pendant de nombreuses années, en souvenir de Robert, jusqu’à ce que son état de santé ne lui permette plus de voyager. Il est décédé en 2015 à l’âge de 93 ans, après avoir reçu la Légion d’Honneur en 2014, des mains de l’ambassadeur de France au Royaume Uni.
Robert, reconnu combattant FFI en 1945, est inhumé au carré militaire du cimetière de Bar le Duc, à deux pas du point de départ de la Voie Sacrée, autre lieu symbolique de Bar le Duc. A titre posthume, Robert a reçu une citation à l’ordre de la Nation, et une autre à l’Ordre de l’Armée, et reconnu « Mort pour la France » par décret.
Citation à l’ordre de la Nation (JO du 9 juillet 1947) : LHUERRE Robert, employé aux écritures au groupement de répartition des farines de la Meuse. Très jeune agent qui a participé activement à la Résistance. S’est occupé dès le début de 1943 de l’hébergement et du transport d’aviateurs alliés tombés dans le département de la Meuse. A ainsi réussi à accompagner jusqu’à Reims au moins vingt-sept aviateurs qu’il remettait entre les mains d’un officier de l’Intelligence Service chargé de les acheminer vers l’Angleterre. S’est activement occupé de l’organisation des maquis de la Meuse et a participé à de nombreux transports d’armes. Arrêté par la GESTAPO le 6 juin 1944 et martyrisé, il a été assassiné le 28 août 1944 d’une balle de mitraillette derrière l’oreille à sa descente de voiture sans avoir rien révélé de l’organisation de résistance du secteur. Sa conduite héroïque lui valut l’attribution de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre.
Il est décoré de la Médaille Militaire, de la Croix de Guerre 1939-1945 avec Palme de Bronze, de la médaille de la Résistance, chevalier du Mérite Agricole (son ministère de tutelle étant le ministère de l’Agriculture, en tant qu’employé de l’ONIC), médaille du Combattant Volontaire de la Résistance, médaille d’Interné Résistant, et a reçu la Medal of Freedom, décernée par le président des Etats Unis pour avoir permis l’évasion d’aviateurs américains et alliés.
L’histoire de Robert a été racontée dans différents ouvrages, dont les plus importants sont :
• Le récit de Denys Teare en 1953, intitulé Evader (non publié en France), et réédité depuis (Air Data Publications Ltd 1996).
• L’ouvrage de Jean-Pierre Harbulot, historien : « Bar-le-Duc 1944-1945 Occupation Résistance Libération » publié par les Dossiers documentaires meusiens en 2015 (ISBN 978-2-9537142-6-5).
Citons aussi l’ouvrage de Charles Richez « Une vie presque ordinaire » aux éditions du Barrois en 1995. Des souvenirs et documents relatifs à Robert Lhuerre sont exposés à l’Eden Camp Modern History Theme Museum, Malton, North Yorkshire, YO17 6RT, Angleterre.
Une rue de Bar le Duc porte le nom de Robert Lhuerre, qui passe devant le monument commémoratif de 1945. Si vous passez par-là, recueillez-vous devant ce monument, rue Robert Lhuerre, à Bar le Duc (55).
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