Découvrez l'histoire de la chasse aux sorcières en France : 5000 victimes, procès célèbres et rôle du Parlement...
©Gallica - BnF
Et si l'une de vos ancêtres avait été brûlée pour sorcellerie ? Cette question, qui peut sembler relever du roman historique, concerne pourtant des milliers de familles françaises. Entre 1390 et 1682, près de 5 000 personnes ont été exécutées en France pour crime de sorcellerie, leurs noms parfois effacés des registres, leurs biens confisqués, leur mémoire volontairement abolie.
Derrière les chiffres se cachent des histoires humaines : des guérisseuses accusées de maléfices, des marginaux désignés comme boucs émissaires, des femmes victimes de règlements de compte villageois. Pour les généalogistes, ces procès représentent à la fois un défi archivistique et une opportunité unique de comprendre le contexte social dans lequel vivaient nos aïeux.
Plongeons dans cette page sombre de l'histoire française, où se mêlent peurs collectives, manipulation politique et répression judiciaire.
Lorsqu'on évoque la chasse aux sorcières, on pense immédiatement aux bûchers de Salem ou aux persécutions massives en Allemagne. Pourtant, la France a connu elle aussi cet épisode sombre de son histoire, avec des spécificités qui en font un cas particulier dans le paysage européen de la répression de la sorcellerie.
Contrairement à ce que l'on imagine souvent, la France a connu une répression moins massive que d'autres pays européens, avec environ 5 000 exécutions pour sorcellerie. À l'échelle européenne, les historiens estiment qu'entre 60 000 et 100 000 personnes ont été exécutées entre le XVe et le XVIIIe siècle. La France représente donc une proportion relativement modeste de ce bilan macabre.
Cette modération relative s'explique en grande partie par le rôle du pouvoir central. La répression toucha principalement les territoires où l'État central était faible, comme la Suisse ou le Saint-Empire romain germanique, tandis que les monarchies centralisées comme la France ont progressivement freiné ces persécutions.
Les premières condamnations pour sorcellerie en France remontent au XIVe siècle. Le 29 octobre 1390, Jeanne de Brigue, dite La Cordière, fut jugée lors du premier procès pour sorcellerie par le Parlement de Paris, avant d'être brûlée vive le 19 août 1391. Cette jeune paysanne de Seine-et-Marne était connue pour ses talents de guérisseuse et sa capacité à retrouver les objets volés.
La construction de la chasse aux sorcières s'est faite en trois étapes : d'abord sur une culture biblique dénonçant le paganisme et la magie, ensuite par la transformation de l'imaginaire du diable aux XVe et XVIe siècles, et enfin par les traités de démonologie.
Le tournant majeur survient avec la publication en 1486 du Malleus Maleficarum (le Marteau des sorcières) par les inquisiteurs Heinrich Kramer et Jacques Sprenger, un ouvrage réédité plus de vingt fois en trente ans. Ce manuel décrivait les sorcières, leurs prétendues pratiques et les méthodes pour les reconnaître et les juger.
La chasse aux sorcières connaît son paroxysme entre 1560-1580 et 1620-1630. Cette période correspond à une époque de troubles profonds en Europe, marquée par les guerres de religion, les crises climatiques et les épidémies.
Au début de la répression, les femmes n'étaient pas plus visées que les hommes, mais un basculement s'opère autour de 1500 : elles représentent alors d'abord les deux tiers, puis bientôt les trois quarts des victimes. Au total, 70% des condamnées étaient des femmes.
Dans le Nord de la France, à Bouchain, 27 enfants furent accusés de sorcellerie entre 1611 et 1613, illustrant que même les mineurs n'échappaient pas à ces persécutions.
L'un des procès les plus retentissants reste celui d'Urbain Grandier. En 1632, au couvent des Ursulines de Loudun, des religieuses dont la mère supérieure Jeanne des Anges affirmèrent avoir été ensorcelées par le curé Urbain Grandier.
Une commission spéciale de 12 magistrats fut constituée, présidée par le conseiller d'État Jean Martin de Laubardemont, avec un jugement sans appel possible auprès du Parlement de Paris. Urbain Grandier, prêtre charismatique et opposant à Richelieu, fut brûlé vif en août 1634 devant des milliers de spectateurs.
Cette affaire illustre la manipulation politique orchestrée par Richelieu qui, au nom de la raison d'État, propagea la rumeur de prétendus ensorcellements afin d'éliminer un prêtre libertin jugé trop proche des protestants.
L’Affaire des Poisons, éclatée sous Louis XIV entre 1676 et 1682, bouleverse la Cour de Versailles en révélant un vaste réseau criminel mêlant empoisonnements, avortements clandestins, messes noires et rituels de sorcellerie, impliquant la haute aristocratie française. Sous l’impulsion de La Voisin (Catherine Deshayes, épouse Monvoisin), ancienne sage-femme, ce scandale atteint jusqu’à Madame de Montespan, favorite du roi, accusée de pratiquer des rituels occultes et de vouloir recourir aux poisons pour garder les faveurs royales.
Face à la gravité des révélations, Louis XIV crée la Chambre ardente, un tribunal exceptionnel qui juge 442 personnes, mène plus de 100 condamnations, dont 34 exécutions, et disperse de nombreux prévenus dans des prisons royales jusqu’à leur mort. Pour protéger la Cour, le roi finit par étouffer l’affaire, fait brûler les archives et interdit aux magistrats d’utiliser des registres officiels.
Au-delà de l’aspect judiciaire, l’Affaire des Poisons marque une rupture historique : elle conduit à l’édit de 1682 qui décriminalise la sorcellerie en France, la réleguant au rang d’escroquerie judiciaire. Les archives de la Chambre ardente documentent minutieusement la société du Grand Siècle et offrent aujourd’hui une ressource précieuse aux historiens et généalogistes.
La France se distingue par l'intervention progressive de son pouvoir judiciaire central. À partir des années 1570-1580, le Parlement de Paris va systématiquement casser les condamnations prononcées en première instance, faute de preuves de ces crimes fondés sur des aveux.
Dès les années 1620, le Parlement de Paris interdit aux juridictions provinciales de pratiquer la chasse aux sorcières, et des magistrats et policiers sont même condamnés à mort sous Louis XIII pour avoir fait brûler un sorcier. Cette politique marque un tournant décisif.
En 1601, le Parlement interdit l'épreuve de l'eau, qui consistait à plonger l'accusé dans une eau bénite pour observer si son corps flottait. En 1604, le droit d'appel devient obligatoire en cas de peine capitale pour les sorcières.
L'Édit de juillet 1682 décriminalise définitivement la sorcellerie en France, l'attribuant uniquement à des préjugés et superstitions. Le texte ne se réfère plus à la sorcellerie, mais à des opérations de prétendue magie, clôturant ainsi plus d'un siècle et demi de répression.
Cette évolution s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, l'hypothèse de l'existence d'une secte de personnes capables d'intercéder pour le mal s'effondre lentement, et la médecine naturalise la maladie et la souffrance. D'autre part, les bûchers deviennent vus comme un danger pour l'ordre public, et le pouvoir souverain s'affirme face aux juges.
Pour les généalogistes, les procès de sorcellerie constituent une source historique fascinante mais complexe. Au XVIIe siècle, l'exécution d'une personne condamnée pour crime de sorcellerie s'accompagnait d'une mort symbolique : leur nom était effacé de l'état civil, leurs biens confisqués et leurs cendres dispersées.
Certains signes peuvent vous alerter sur une possible affaire de sorcellerie dans votre lignée :
La chasse aux sorcières en France représente bien plus qu'une simple page d'histoire : elle incarne un moment où la peur collective, manipulée par le pouvoir ou exacerbée par les crises, a conduit à l'élimination de milliers d'innocents. Pour les généalogistes, ces procès constituent un défi passionnant et une responsabilité mémorielle.
Retrouver la trace d'un ancêtre accusé de sorcellerie, c'est restaurer une mémoire volontairement effacée, redonner un nom à ceux qu'on voulait faire disparaître, comprendre les circonstances qui ont transformé une guérisseuse en "sorcière" ou un marginal en bouc émissaire. C'est aussi mesurer le poids du contexte social, politique et religieux sur le destin des individus.
Ces recherches exigent patience et méthode : il faut fouiller dans les archives judiciaires, croiser les sources paroissiales et notariales, reconstituer le tissu social d'une communauté villageoise. Mais la récompense est immense : découvrir non seulement un nom et une date, mais toute une histoire humaine, avec ses drames, ses injustices et parfois ses actes de résistance ou de solidarité.
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