Découvrez si vous descendez vraiment de Charlemagne. Explications scientifiques, probabilités mathématiques et limites.
La question fascine depuis des générations : suis-je descendant de Charlemagne ? Cette interrogation, qui alimente fantasmes et recherches généalogiques, trouve aujourd'hui des réponses surprenantes grâce aux mathématiques et à la génétique des populations. Voici ce que nous apprend véritablement la science sur nos liens avec l'empereur carolingien.
En 1999, Joseph Chang, statisticien à l'Université Yale, a démontré mathématiquement que si l'on remonte à l'époque de Charlemagne (environ 40 générations), nous devrions théoriquement avoir plus d'un billion d'ancêtres, soit environ 2000 fois plus que la population mondiale de l'époque. Ce paradoxe apparent s'explique par un phénomène appelé "pedigree collapse" ou implexe généalogique : nos ancêtres ne sont pas indépendants les uns des autres.
Selon le modèle de Chang, environ 1000 ans en arrière, une situation particulière prévalait : 20% des adultes européens vivant vers l'an 1000 n'ont laissé aucun descendant aujourd'hui, tandis que les 80% restants sont les ancêtres directs de tous les Européens actuels. Cela signifie que si Charlemagne a des descendants vivants aujourd'hui, alors tous les Européens descendent probablement de lui.
En 2013, les généticiens Peter Ralph de l'Université de Californie du Sud et Graham Coop de l'Université de Californie à Davis ont confirmé ces prédictions mathématiques en analysant les séquences génétiques de plus de 2000 Européens. Leur étude, publiée dans la revue PLOS Biology, a révélé que toute personne ayant vécu il y a 1000 ans et ayant des descendants aujourd'hui est l'ancêtre de tous les Européens contemporains.
L'empereur carolingien présente un avantage majeur pour les généalogistes : sa descendance est exceptionnellement bien documentée. Charlemagne a eu 18 enfants de 10 épouses et concubines différentes, créant ainsi de multiples lignées descendantes.
Le roi Felipe VI d'Espagne compte à lui seul plus de 14 milliards de chemins généalogiques remontant à Charlemagne. Les recherches du généalogiste Christopher Moore ont identifié plus de 38 000 ancêtres communs aux familles royales européennes actuelles, confirmant l'interconnexion extraordinaire des lignées aristocratiques.
Des personnalités aussi diverses que le Prince George du Royaume-Uni ou l'ancien président américain Barack Obama sont documentés comme descendants de Charlemagne. Cette diffusion s'explique par les mariages entre nobles et roturiers au fil des siècles, transmettant progressivement l'ascendance carolingienne dans l'ensemble de la population européenne.
Si la probabilité statistique est élevée, prouver concrètement sa descendance de Charlemagne reste un défi considérable. En France, la tenue des registres paroissiaux est obligatoire depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, mais quelques registres paroissiaux existent depuis les XIVe ou XVe siècles dans certains diocèses. Les registres paroissiaux remontent souvent au XVIe siècle, l'état civil civil commence en 1792.
Avant 1600, la tenue de registres était moins systématique et leur survie est aléatoire. Les familles nobles étaient mieux documentées, mais pour les classes plus modestes, les informations sont dispersées et fragmentaires. Pour un généalogiste amateur, remonter au-delà du XVIe siècle sans ancêtre noble documenté s'avère souvent impossible.
Prouver une descendance de Charlemagne est une réalisation notable car cela signifie établir une ligne ininterrompue sur une période de 1200 ans. La difficulté majeure réside dans l'identification d'un "gateway ancestor" - un ancêtre noble documenté qui sert de pont entre votre lignée roturière et l'aristocratie médiévale.
Contrairement à une idée reçue, nous ne possédons pas l'ADN de Charlemagne, donc personne ne peut prouver sa connexion par test ADN. Malgré vos millions d'ancêtres médiévaux, vous n'héritez de l'ADN que d'une infime fraction d'entre eux. Par exemple, vous n'avez qu'environ 2000 ancêtres génétiques du XIIe siècle, ce qui signifie que votre séquence ADN est une mosaïque d'environ 2000 fragments, chacun remontant à une seule personne du XIIe siècle.
Pour descendre de Charlemagne à travers plus de 40 générations, il faudrait descendre de lui par des centaines de millions de lignées pour être certain d'avoir hérité ne serait-ce qu'un petit segment d'ADN directement de lui. Les tests ADN peuvent révéler des informations sur vos origines ethniques et identifier des parents potentiels, mais ne peuvent pas prouver définitivement une ligne de descendance spécifique d'un ancêtre aussi lointain que Charlemagne.
Depuis 1941, l'Ordre de la Couronne de Charlemagne aux États-Unis publie des volumes de pedigrees documentant les descentes de Charlemagne. Ces lignées sont soigneusement documentées, génération après génération, et vérifiées par le Généalogiste Général de l'Ordre.
Pour être reconnu comme descendant de Charlemagne par l'Ordre, il faut prouver chaque génération sur 1300 ans, ce qui, bien que possible, représente un défi considérable nécessitant des compétences généalogiques avancées. La plupart des personnes qui réussissent cette preuve identifient d'abord un "gateway ancestor" - un ancêtre immigré en Amérique dont la descendance de Charlemagne est déjà établie - puis relient leur propre lignée à cet ancêtre.
Les descendants de familles nobles européennes, particulièrement britanniques, françaises, allemandes ou espagnoles, disposent généralement d'archives familiales, d'ouvrages héraldiques et de généalogies publiées facilitant cette recherche. Selon Mark Humphrys, professeur d'informatique à Dublin City University qui a tracé les généalogies de la royauté européenne : "Vous pouvez demander si tout le monde dans le monde occidental descend de Charlemagne, et la réponse est oui. Mais pouvez-vous le prouver ? C'est là le jeu de la généalogie".
Au point isopoint génétique, les arbres généalogiques de deux personnes sur Terre aujourd'hui, aussi éloignées soient-elles, remontent au même ensemble d'individus. Comme l'explique le Dr Adam Rutherford de l'University College London : "Littéralement chaque personne en Europe descend directement de Charlemagne... Littéralement, pas métaphoriquement. Vous avez une lignée directe qui mène à Charlemagne".
D'un point de vue génétique cependant, cela signifie peu : tous les Européens d'ascendance récente ne portent pas les gènes transmis par Charlemagne. Ni chaque Juif ne porte des gènes de ses ancêtres séfarades expulsés d'Espagne. Après 40 générations, nous ne conservons qu'une fraction infime de l'ADN de chacun de nos ancêtres de cette époque.
L'intérêt est davantage historique et méthodologique. Cette recherche nous rappelle une vérité fondamentale : nous sommes tous interconnectés. Si Charlemagne est probablement votre ancêtre, le sont également des milliers d'autres personnes de son époque - nobles, artisans, paysans, religieux. Notre patrimoine généalogique est un véritable tissage historique complexe.
Descendons-nous de Charlemagne ? La réponse scientifique est probablement oui pour la quasi-totalité des personnes d'ascendance européenne. Les chercheurs confirment que toute personne vivante il y a 1000 ans qui a laissé des descendants est un ancêtre de tous les Européens. Les mathématiques et la génétique des populations le démontrent sans équivoque.
Mais pouvoir le prouver avec des sources documentaires reste l'apanage d'une minorité, principalement ceux qui peuvent identifier des ancêtres nobles dans leur lignée et disposent des ressources pour mener des recherches approfondies dans les archives médiévales. La barrière documentaire du XVIe siècle constitue un obstacle majeur pour la plupart des généalogistes.
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