Nicolas Legrand, tailleur de pierres à Roudouallec, est l’un des précurseurs de l’émigration bretonne vers l’Amérique du Nord, retour sur son histoire
Le 3 juillet 1852, Nicolas Mathurin Legrand voit le jour à Roudouallec, petit village du Morbihan. Son père, Paul, est tailleur de pierres et sa mère, Marie Josèphe Legoff est couturière. Il est le troisième enfant sur les cinq qu’auront le couple. Nicolas passe toute son enfance à Roudouallec, à aider ses parents dans le travail et dans le quotidien dans les Montagnes Noires.
A ses 20 ans, alors qu’il est lui aussi tailleur de pierres, Nicolas est appelé au service militaire. C’est là-bas qu’il fera une rencontre qui changera sa vie. En effet, comme il le raconte dans l’édition du 24 janvier 1927 de la Dépêche de Brest, c’est un camarade de régiment, du 72e à Tours, qui pendant les cinq ans de son service lui vante les avantages d’un voyage vers les Etats-Unis. De retour à Roudouallec en septembre 1877, Nicolas se marie le 26 décembre 1877 avec Marie Françoise Bouedec, le même jour que son frère Toussaint. Très vite, ils auront deux enfants, Marie Josèphe née le 26 mai 1879, puis Marie Louise née le 2 septembre 1880. Mais la vie n’est pas aisée à Roudouallec, les salaires sont bas. Marie Françoise, sa femme, accumule les emplois : couturière, ménagère et repasseuse…
Nicolas déclare :
« Bientôt après, marié, puis père de deux enfants, je vivais misérablement d’un salaire quotidien de douze sous. Cette situation était bien faite pour me rappeler les récits si souvent entendus. »
En 1881, Nicolas part direction le Havre pour embarquer sur le paquebot qui l’emmènera en Amérique du Nord. Il laisse derrière lui sa femme et ses deux filles, mais cela ne sera que temporaire. Il part avec Loeiz Bourhis, un breton, dont il n’aura plus de nouvelles et Job Dauphars, un paysan de Gourin, qui décédera à son retour en Bretagne. Ils arrivent alors au Canada, et nos paysans bretons se transforment en bûcherons. Quelques temps plus tard, ils se dirigent vers les sud, vers les Etats-Unis pour travailler dans des usines ou des fermes.
Nicolas raconte :
« Là j’ai continuellement voyagé. Dans le Connecticut, je gagnais 20 francs par jour. Dans une usine de fer, en Pennsylvanie, 450 francs par mois. »
A l’époque, l’embauche est facile à trouver et la paye est bonne; et quels avantages pour des paysans bretons ! Après avoir mis des sous de côté, accumulé un peu d’épargne, les trois amis décident de rentrer au pays en 1884.
A son retour à Roudouallec, Nicolas retrouve sa femme et ses filles. Très vite, de leurs retrouvailles, né Mathurin Guillaume le 22 juillet 1885. Quelques temps plus tard, c’est Louis Marie (16 janvier 1888) puis Marie Françoise (6 septembre 1889) qui viendront combler la petite famille. Sa femme est marchande, cabaretière et commerçante. Le départ de Nicolas pour le Nouveau Monde est vu comme un exemple à suivre dans le village. Il est parti pauvre, revenu aisé et heureux. Quelle aubaine !
Nicolas raconte dans le même article de journal :
« Un soir, en 1890, une douzaine de voisins, qui partaient le lendemain pour l’Amérique, se trouvaient réunis chez moi pour faire la fête. Ils me pressaient de les accompagner pour les guider. Quelqu’un voulu parier que je partirais. […] Enfin, ces clients là me déclarèrent qu’ils ne paieraient les consommations que lorsque j’embarquerais avec eux au Havre. »
Bien que sa femme proteste, Nicolas repart en Amérique avec le groupe. Il y restera trois ans avant de retrouver son foyer, mais il déclare qu’il ne l’a pas regretté, le groupe l’a payé. Il est aujourd’hui à l’abri du besoin. De retour en 1893, trois bébés viendront agrandir la famille, Jean Pierre (2 janvier 1894), Louise (15 mars 1896) et Anne Marie (3 février 1904), il a 53 ans. De ses voyages outre-atlantique, Nicolas a ramené beaucoup d’argent. Assez pour avoir une maison et des champs à cultiver dans le modeste bourg de Roudouallec.
L’audace de Nicolas et son courage ont payés. Il est vu comme un exemple de réussite, un exemple à suivre. A Gourin, Guiscriff, Leuhan, on ne jure que par l’Amérique, on ne rêve que de traverser l’Atlantique pour y faire fortune. Nicolas Mathurin Legrand est définitivement l’un des pionniers de l’immigration bretonne vers les Etats-Unis. Les chiffres parlent de 115 000 Bretons qui auraient émigrés vers l’Amérique du Nord entre 1880 et 1970. L’héritage breton aux Etats-Unis est toujours bien présent aujourd’hui d’ailleurs…